« Il faut avoir un chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse », disait Nietzsche. C’est un peu l’histoire de ce couple d’Arméniens, Suren et Anna Sahakyan, respectivement 40 et 34 ans, dont l’épopée dramatique va trouver un dénouement heureux à Hendaye.
Suren quitte l’Arménie il y a douze ans ; l’état général de corruption de son pays ne lui permet pas
d’envisager l’avenir dont il est porteur. Il part vivre en Russie, à Sotchi, où il rencontre Anna, les
deux travaillent dans la restauration. C’est là, pendant l’année des Jeux Olympiques en 2014, que naît
Samuil, leur premier enfant. Mais la Russie aussi est dangereuse et cinq ans plus tard, c’est un nouveau
voyage, direction la France, via la Biélorussie puis la Pologne. « Chaque jour, pendant dix jours, j’ai
dû aller voir si on pouvait passer la frontière, je n’en pouvais plus », se souvient Suren, les larmes
aux yeux. Ils finissent par arriver à Poitiers, où ils vont rester un an et demi. Pris en charge par le
CADA, Centre d’accueil des demandeurs d’asile, ils commencent alors une autre épopée, administrative
cette fois, pour obtenir un statut de réfugiés politiques. Las ! La demande n’aboutit pas et en 2017
l’appartement mis à disposition doit être rendu, pas de titre, pas de logement. Désespérés, avec
quelques euros en poche, ils arrivent un jour à la gare de Poitiers sans idée préconçue de destination.
Anna est enceinte de 8 mois et il faut trouver un point de chute pour la famille. Suren commente
aujourd’hui : « Je réalise qu’on a pris beaucoup de risques. »
Sur le parvis de la gare, le hasard, ou leur bonne étoile, les fait rencontrer une dame
qui descend en
voiture vers l’Espagne et leur propose un co-voiturage. Les voilà partis vers un nouvel épisode de leur
vie.
La conductrice les dépose à l’église Sainte-Eugénie à Biarritz, où pendant six mois, la paroisse va
s’occuper d’eux. On leur prête une maison et Anna peut accoucher en toute sécurité à l’hôpital de
Bayonne.
Un enfant né en France, tout un symbole ! Anna est fière de cette naissance à Bayonne, même si elle
reconnaît qu’il a fallu se passer des visites et des félicitations qu’on reçoit en pareil cas. Au moins
ont-ils un toit sur la tête et Samuil est scolarisé.
Autre bonne fée à se pencher sur la destinée de cette famille, la Cimade
qui, en août 2018, va leur proposer
une maison à Hendaye. C’est un vrai soulagement, enfin dans leur maison, ils vont pouvoir travailler et
refaire leur demande de papiers. Ils obtiendront leur titre de séjour en juin 2021. Anna est la première
à
trouver un emploi dans une boulangerie d’Hendaye. Elle va y rester plus de trois ans. Suren, lui,
travaille
un été de nuit à l’usine Epta aux Joncaux, comme monteur de réfrigérateurs. Mais avec les enfants petits
et
aucune aide familiale, il ne pourra accepter d’être embauché avec des horaires de travail impliquant la
journée.
De toutes façons, le couple a un rêve, celui d’ouvrir un commerce. Anna se voit fleuriste, mais Suren
emportera la décision : ils vont préparer des spécialités et vendre des produits d’Arménie.
En décembre
2021, après une formation au GRETA, il obtient son diplôme HACCP (une certification des normes d’hygiène
des
restaurateurs), qui lui permet d’ouvrir un commerce alimentaire et accessoirement un diplôme de
sauveteur-secouriste. Son fils Samuil lui a montré la voie, lui qui pratique le sauvetage côtier à
Hendaye
pendant ses loisirs. Suren et Anna réussissent l’épreuve de Français du contrat d’intégration lors d’un
examen à Bordeaux le 1er août de cette année, avec les félicitations dues aux bons élèves. Leur niveau,
A2,
est suffisant pour obtenir une carte de résident de 10 ans. S’il veut la nationalité française, il lui
faudra le niveau B1. Il restera encore un stage de trois jours à la rentrée, à Pau, sur les subtilités
de la
législation française pour terminer leur contrat d’intégration.
Pendant cinq mois, le couple peaufine ses recettes. Leur meilleure trouvaille selon eux, atteinte au
bout de
longues séries d’essai/erreur ? Des crêpes de couleur verte (épinards) et rouge (betteraves) !
Les associations hendayaises se sont mobilisées en faveur de la famille Sahakyan, depuis leur arrivée
dans
la ville. La Cimade, Baleak, et dernièrement Bidasoa Etorkinekin, qui a avancé l’argent pour acheter le
matériel de cuisine en attendant que la banque débloque le prêt et dont certains bénévoles continuent de
prêter main-forte à l’occasion. Car le temps a été compté pour que Suren et Anna puissent profiter de la
saison. Le bail pour le local de la rue des Pins est signé le 1er août, il a fallu nettoyer, enlever les
miroirs et les cabines du local qui était, il y a longtemps, magasin de vêtements, installer un ilôt
pour le
lavage, remettre en état le cumulus, etc. avant d’enfin ouvrir leur magasin « Granada » au public. C’est
chose faite depuis dimanche 7 août 2022. Leur ténacité aura porté ses fruits. « Il paraît que nous avons
des
points communs avec les Basques : 2 000 mots de vocabulaire et un caractère têtu ! », s’amuse Suren.
Le couple et ses deux enfants « qui n’ont jamais cesser de prier », vont peut-être enfin pouvoir se
mettre à danser comme des étoiles…
Il reste à résoudre le problème de la garde des enfants le week-end, à la reprise de l’école (appel aux bonnes volontés).