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Compte-rendu des observations des 6 et 7 avril 2022

Frontière franco-espagnole – Hendaye/Irun

Durant 2 jours, le mercredi 6 avril de 9h à minuit et le jeudi 7 avril de 6h à 21h, 36 membres de plusieurs associations(1) , ont observé en continu les pratiques des forces de l’ordre à la frontière franco-espagnole, entre Hendaye et Irun, afin de recueillir des données concernant le respect des droits des personnes en migration à cette frontière. Cette action a été mise en place et coordonnée par la chargée de projet de la CAFI (Coordination des actions aux frontières intérieures) et la coordinatrice des missions aux frontières intérieures de l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers).

Les observations ont eu lieu :

  • A la gare d’Hendaye (SNCF et Euskotren),
  • Au pont Saint-Jacques, « pont-frontière » reliant l’Espagne (Irun) et la France (Hendaye),
  • Au pont international, « pont-frontière » reliant l’Espagne (Irun) et la France (Béhobie),
  • Au péage du Biriatou de l’autoroute A63.

Le compte-rendu de ces observations est synthétisé ci-dessous, ainsi que les pratiques illégales observées.

  1. Constats de contrôles, d’interpellations et de refoulements à la frontière franco-espagnole

    Une présence importante de forces de l’ordre a été observée à Hendaye et aux alentours, que cela soit sur des postes « fixes » (pont Saint Jacques, pont international de Béhobie), qu’en patrouille dans la ville et aux alentours. Ces forces de l’ordre appartenaient aux corps de la gendarmerie, de la PAF, de la réserve de la police nationale et de la douane. Par ailleurs, de nombreux témoignages recueillis auprès de personnes résidant aux abords de la frontière attestent de la présence de forces militaires « sentinelles », notamment dans les sentiers de randonnée.
    Pendant les observations, des contrôles et interpellations ont été constatés, conduisant au refoulement de 37 personnes de la France (Hendaye) vers l’Espagne (Irun). Pour l’ensemble de ces personnes, le motif des refoulements a semblé être lié à une absence de documents de séjour ou de documents d’identité(2). Les contrôles, interpellations et refoulements ont eu lieu à différents points, détaillés ci-dessous.

    1. En gare d’Hendaye
      La majorité des trains arrivant d’Irun (les trains « TOPO », Euskotren) ont été contrôlés par des policiers de la police aux frontières (PAF). La PAF était en effet présente en gare d’Hendaye à l’arrivée de 80-85% des trains observés en provenance d’Espagne.
      Dans la majorité des cas également, les contrôles effectués n’étaient pas discriminatoires car ils concernaient tou·te·s les passagèr·e·s du train. Cependant, pour certains trains, des pratiques discriminatoires ont été observées. Par exemple, le 6 avril à 19h20, seule une personne racisée a été contrôlée sur l’ensemble des passagèr·e·s descendant du train en provenance d’Espagne.
      Les trains arrivant de France à Hendaye (gare SNCF) n’ont pas été contrôlés durant nos observations. Lors du départ de certains trains d’Hendaye (gare SNCF) vers d’autres destinations en France, les forces de l’ordre en présence sont allées faire un tour sur le quai / en gare. Pendant les périodes d’observations, 13 personnes (10 hommes, 2 femmes et 1 enfant) ont été interpellées par la PAF à la gare d’Hendaye, soit depuis le TOPO soit sur le parvis de la gare.
      A la suite de leur interpellation, 8 personnes ont été reconduites au train TOPO par la PAF, pour qu’elles le reprennent en direction de l’Espagne (Hendaye étant le terminus de la ligne). Par exemple, le 6 avril, à 15h25, deux femmes et un enfant ont été interpellées à la sortie du train « TOPO » (Euskotren) en gare d’Hendaye par la PAF, et ont dû repartir en Espagne avec le train suivant, repartant en Espagne quelques minutes après, sans aucun entretien.
      Par ailleurs, 5 personnes interpellées ont été ensuite emmenées dans un véhicule de la police depuis la gare, en direction du pont Saint-Jacques à Hendaye. Les observateurs et les observatrices situé·e·s au pont Saint-Jacques ont pu observer le passage de la voiture de police conduisant ces personnes et les déposant de l’autre côté du pont, en Espagne.
    2. Au pont Saint-Jacques
      Durant les périodes d’observation, des agent·e·s de police étaient constamment présent·e·s sur le pont Saint-Jacques pour les contrôles des véhicules, des bus et les piéton·ne·s venant d’Espagne et se rendant en France. Une construction modulaire type « algéco » était installée sur la route.
      Au total, 5 personnes ont été interpellées par la police française et renvoyées vers l’Espagne depuis le pont pendant nos observations.
      • Contrôle des piéton·ne·s
        Pendant les observations, les piéton·ne·s ont été contrôlé·e·s de manière aléatoire par les forces de l’ordre, même si la quasi-totalité des personnes racisées semble avoir été contrôlée tandis que cela n’a pas été le cas des personnes non-racisées.
        Durant certaines périodes, des pratiques discriminatoires ont été constatées. Par exemple, le 6 avril, de 18h à 19h15, aucun·e piéton·ne n’a été contrôlé·e sauf une jeune personne racisée.
        Le 7 avril, de 12h à 14h, seules deux personnes racisées ont été contrôlées sur l’ensemble des piéton·ne·s.
        Lors des observations, 3 personnes ont été interpellées et renvoyées par la police vers l’Espagne à pied, directement sur le pont Saint-Jacques. 2 de ces personnes ont d’abord été placées dans la construction modulaire installée sur le pont pendant un peu moins d’une heure avant d’être renvoyées en Espagne.
      • Contrôle des bus
        Quasiment tous les bus venant d’Espagne ont été contrôlés par des policiers, qu’il s’agisse de bus locaux (Hegobus) ou d’autocars de lignes internationales (Flixbus, Blablabus). Nous n’avons pas pu voir comment s’opéraient les contrôles une fois les policiers montés à bord des bus. Il ressort des observations que ces contrôlés étaient extrêmement rapides, laissant penser qu’ils ne concernaient pas tou·te·s les passagèr.es.
        2 personnes ont été interpellées depuis un bus, puis renvoyées vers l’Espagne à pied après un passage de 20 minutes dans la construction modulaire installée au milieu du pont.
      • Contrôle des voitures
        La quasi-totalité des voitures n’a pas fait l’objet de contrôle durant les observations. Cependant, très souvent, les forces de l’ordre regardaient les passager·e·s des véhicules depuis l’extérieur (des plots sur la voie et des ralentisseurs ont été installés par les forces de l’ordre pour obliger les véhicules en provenance d’Espagne à ralentir devant le point de contrôle). Le 6 avril de 9h à 12h, aucun véhicule n’a fait l’objet d’un contrôle sauf un, dont la conductrice était une personne racisée.
      • Contrôles des camionnettes
        Durant certaines heures, le coffre des camionnettes a été systématiquement ouvert par la PAF, tandis qu’à d’autres périodes, aucun contrôle n’a été effectué.
    3. Au pont international de Béhobie
      Durant les périodes d’observation, des gendarmes étaient présents sur le pont systématiquement, dans le sens Espagne-France, avec une construction modulaire de type « algéco » et des toilettes chimiques installés sur la route.
      A deux reprises, pendant 30 à 45 minutes, des contrôles dans le sens France-Espagne ont été mis en place du côté espagnol, par les forces de l’ordre espagnoles.
      19 personnes ont été renvoyées en Espagne par les gendarmes sur le pont international pendant les observations. Parmi ces personnes, 17 ont été directement refoulées suite à des contrôles sur le pont. 2 autres personnes ont été amenées par des gendarmes en fourgon depuis un autre point de contrôle ou d’interpellation (autre que les lieux d’observation pendant l’action)
      • Contrôle des piéton·ne·s
        Pendant les observations, les piéton·ne·s ont parfois fait l’objet de contrôles aléatoires, parfois systématiques et parfois discriminatoires. Par exemple, le 6 avril de 9 à 12h, toutes les personnes racisées piétonnes ont été contrôlées, ce qui n’a pas été le cas des personnes non-racisées. Lors des observations, 7 personnes (dont un cycliste) ont été interpellées et renvoyées vers l’Espagne à pied, directement sur le pont international de Béhobie.
      • Contrôle des bus
        Quasiment tous les bus venant d’Espagne ont été contrôlés par des policiers (bus locaux Hegobus). Nous n’avons pas pu voir comment s’opéraient les contrôles une fois les policiers montés à bord des bus.
      • Contrôle des voitures
        Les contrôles des véhicules ont différé selon les périodes observées : soit les véhicules ont été contrôlés de manière aléatoire, soit ils n’ont pas été contrôlés du tout. A la suite de ces contrôles, 3 véhicules comprenant en tout 5 personnes ont dû faire demi-tour vers l’Espagne, sous ordre des gendarmes.
      • Contrôle des camionnettes
        Pendant les observations, l’ensemble des camionnettes et des camping-cars a fait l’objet d’un contrôle (ouverture du coffre et dans certains cas, demande de documents).
        A la suite de ces contrôles, 5 personnes ont été renvoyées en Espagne par les gendarmes : 2 personnes à bord de 2 camionnettes et le passager d’une autre camionnette. Dans un cas, les deux personnes ont d’abord été placées dans la construction modulaire située au milieu du pont pendant une quinzaine de minutes avant d’être renvoyées en Espagne.
      • Autres refoulements
        Par ailleurs, 2 refoulements ont été observés sur le pont, de personnes dont l’interpellation n’a pas été observée au cours de l’action (l’interpellation avait donc eu lieu ailleurs qu’en gare ou au pont Saint-Jacques). Ces 2 personnes ont été accompagnées par des gendarmes en fourgon, puis ils ont été conduits à l’intérieur de la construction modulaire située au milieu du pont avant d’être refoulées vers l’Espagne, à pied.
    4. Au péage de Biriatou de l’autoroute A63
      Pendant les observations, des forces de l’ordre appartenant à la gendarmerie étaient présentes au niveau des portiques du péage, contrôlant de manière aléatoire des véhicules venant d’Espagne, dont des camions. La présence des services de la douane a également été observée au niveau du péage. Pour certains camions, les chargements ont été inspectés.
      Les bus Flixbus ont fait l’objet de contrôles, les gendarmes montant dans le bus pendant plusieurs minutes.
      A la suite d’un de ces contrôles, une personne a été descendue d’un bus par les gendarmes de manière brusque, la personne ayant été menottée, avant d’être emmenée dans un local, sans qu’il n’ait été possible d’observer la suite de la procédure
  2. Pratiques illégales observées
    Les observations réalisées nous permettent de dresser plusieurs constats concernant le non-respect des droits à la frontière franco-espagnole, entre Hendaye et Irun.
    1. Contrôles discriminatoires
      Les observations telles que détaillées ci-dessus montrent des contrôles discriminatoires de la part des forces de l’ordre à Hendaye. Bien que ces pratiques n’aient pas été systématiques pendant les périodes d’observation, elles ont tout de même été relevées à plusieurs reprises :
      • à l’arrivée des trains TOPO,
      • en gare SNCF ou sur le parvis devant la gare,
      • sur le pont Saint-Jacques,
      • sur le pont international de Béhobie.
      En pratique, cela s’est matérialisé par le fait que, lors de certains contrôles, sur l’ensemble des personnes présentes, seules des personnes racisées ont été contrôlées.
    2. Non-respect de la procédure de non-admission
      Dans le cadre du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures en France, les personnes interpellées à la frontière et ne remplissant pas les conditions pour entrer sur le territoire français peuvent faire l’objet de procédures de non-admission (ou de réadmission mais cette dernière procédure est moins souvent employée par les autorités françaises directement à la frontière). Cette procédure doit respecter un certain nombre de garanties prévues les textes(3).
      Tout d’abord, la procédure de non-admission doit être faite par des policiers de la PAF, et non par des gendarmes ni par des CRS. Or, dans plusieurs situations observées, notamment lors d’interpellations de personnes sur le pont international de Béhobie, aucun membre de la PAF n’était présent·e. La procédure administrative mise en oeuvre par les autorités françaises avant le refoulement vers l’Espagne a donc été réalisée par des gendarmes, soit par des agents n’ayant pas la capacité juridique pour notifier de tels actes.
      Ensuite, la procédure de non-admission ne peut être mise en oeuvre que suite à un examen individuel de la situation de la personne interpellée. Or, les observations ont permis de constater des procédures expéditives. Dans la majorité des situations observées, les personnes interpellées ont dû faire demi-tour, en repartant de la France vers l’Espagne, quasiment immédiatement après leur interpellation. Depuis la gare, certaines personnes ont été immédiatement emmenées par la PAF de l’autre côté du pont Saint Jacques, en Espagne, sans entretien préalable.
      Par ailleurs, la décision doit être faite dans une langue comprise par la personne non-admise avec une information délivrée sur la procédure en cours et sur les droits des personnes en situation de non-admission. Ainsi, il doit être fait appel à un service d’interprétariat lorsque la personne ne parle pas français. Or, en grande majorité, les refoulements observés ont eu lieu après des entretiens sommaires. Par conséquent, il ne semble pas possible que les personnes aient pu recevoir une information compréhensible sur leurs droits et la procédure à leur encontre dans une langue qu’elles comprennent si elles ne parlaient pas français.
      Enfin, toute personne refoulée doit recevoir la décision de non-admission la concernant, a minima pour pouvoir la contester si elle le souhaite. Or, dans la quasi-totalité des cas, aucun document n’a été remis aux personnes refoulées de la France vers l’Espagne, que ce soit au niveau de la gare d’Hendaye, du pont Saint-Jacques ou du pont international de Béhobie.
    3. Le non-accès à la procédure d’asile
      Les personnes interpellées puis non-admises sur le territoire doivent pouvoir faire l’objet d’un entretien individuel, dans une langue qu’elles comprennent, avec un officier de la PAF. Cet entretien peut notamment être l’occasion pour la PAF de « détecter » la « vulnérabilité » d’une personne et lui accorder une « attention particulière », comme cela est prévu par les textes. Cela doit également permettre aux personnes d’être informées de leurs droits et/ou d’exprimer le fait qu’elles souhaitent demander l’asile en France si tel est le cas. Le droit d’asile étant un droit fondamental, aucune procédure de non-admission ne peut être prise à l’encontre d’une personne exprimant le souhait de demander l’asile.
      La PAF doit donc enregistrer cette demande en initiant une procédure de demande d’entrée sur le territoire au titre de l’asile ou en permettant à la personne de se rendre à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile la plus proche afin d’entamer les démarches de demande d’asile.
      Pendant nos observations, toutes les personnes interpellées et refoulées de la France vers l’Espagne n’ont pas fait l’objet d’entretiens confidentiels au cours duquel une demande d’asile aurait pu être formulée, soit parce qu’elles ont été renvoyées immédiatement vers l’Espagne sur le pont Saint-Jacques ou sur le pont international de Béhobie, soit parce qu’elles ont été remises dans le train TOPO en direction de l’Espagne, après seulement quelques minutes entre leur interpellation et leur refoulement.
    4. Contrôles des observateurs et observatrices
      Pendant les observations, les forces de l’ordre ont contrôlé l’identité de 9 observateurs et observatrices. A plusieurs reprises, les noms des observateurs et observatrices ont été notées par les forces de l’ordre.
      A quatre reprises, des forces de l’ordre sont venues poser des questions aux personnes en observation (sans contrôle d’identité dans ce cas). A titre d’exemple, au niveau du péage de Biriatou, des douaniers sont venus questionner des observateurs et observatrices sur le motif de leur présence.
      Les échanges ont été cordiaux dans la plupart de ces situations.
      A 2 reprises, les binômes d’observateurs et observatrices ont vu avoir été pris·es en photo par les forces de l’ordre.

    (1) Du projet CAFI (La Cimade, Amnesty International France, Médecins du Monde, Secours Catholique-Caritas France), de l’Anafé, et d’associations locales partenaires françaises et espagnole : Diakité, Etorkinekin, Bizi et Ongi Etorri Errefuxiatuak

    (2) En effet, selon les propos entendus pendant les observations, il semble que, pour un certain nombre de piéton·ne·s, notamment des « joggeurs » ayant été interpellés et refoulés sur le pont Saint-Jacques ou le pont international de Béhobie, le motif du refoulement était lié à une absence de document permettant de justifier de l’identité lors du contrôle par les forces de l’ordre et non des documents de séjour.

    (3) La procédure de non-admission sur le territoire prévue par les articles L. 332-1 et suivants CESEDA prévoit que tout refus d’entrée doit :

    • faire l’objet d’une décision écrite et motivée ;
    • être notifiée avec mention du droit d’avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle la personne a indiqué qu’elle devait se rendre, son consulat ou le conseil de son choix ;
    • être communiqué dans une langue que la personne comprend ;
    • être prise sans préjudice des dispositions particulières relatives au droit d'asile
    Enfin, une « attention particulière », doit être accordée aux « personnes vulnérables, notamment aux mineurs accompagnés ou non d'un adulte ».

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